J.B.Books Law in Abilene
Messages : 1957 Date d'inscription : 20/11/2011 Localisation : Sous mon chapeau.
| Sujet: Le Kansas ensanglanté (1/2) Lun 12 Déc - 18:01 | |
| CONFEDERATE HISTORICAL ASSOCIATION OF BELGIUM Texte de Gérard Hawkins Le Kansas ensanglanté. INTRODUCTION"D ’une façon générale, le danger qui guette notre gouvernement réside dans les grandes discussions qui portent sur les intérêts du Sud et du Nord de notre continent. L’institution esclavagiste et ses conséquences constituent désormais le sujet prédominant des différents débats entre nos politiciens”.1 C’est en ces termes que s’exprima le président James Madison2 lors d’une convention nationale, en 1787. Il avait parfaitement compris que, depuis l’avènement de la République américaine, la polémique de l’esclavage constituait un obstacle majeur à l’unité politique du nouveau continent et une menace latente pour l’existence même de l’Union. Bien auparavant, les Pères Fondateurs de la nation américaine, c’est-à-dire ceux qui avaient élaboré sa constitution, s’étaient rendu compte de l’écueil que représentait ce sujet explosif pour la formation et le maintien d’une unité nationale. Ils avaient par conséquent sagement décidé d’exclure l’Institution particulière du débat politique et, à l’exception du commerce des esclaves africains, ils dénièrent au Congrès le pouvoir de trancher la question de l’esclavage.
Esclaves c.1862James Madison (1751-1836) est le quatrième président des États-Unis de 1809 à 1817
Afin d’assurer au lecteur la bonne compréhension des événements qui aboutiront au “Kansas ensanglanté”, une brève description du fonctionnement de l’Etat fédéral américain s’impose. C’est un système politique dont le gouvernement central partage certaines de ses compétences constitutionnelles tout en conservant un pouvoir unificateur et fort. Pour ceux qui sont peu familiarisés avec le fonctionnement d’un Etat de droit, traçons des parallèles entre nos institutions actuelles et celles qui régissaient et qui régissent encore les Etats-Unis. Le Congrès fédéral peut s’identifier à notre Parlement. Comme celui-ci, il s’articule sur les deux chambres qui constituent le pouvoir législatif. Il y a d’abord la House of Congres (Chambre des représentants ou Chambre des députés ou Assemblée nationale). C’est à la Chambre des représentants du Congrès que se discutent et se votent les grandes options politiques et économiques de la nation. Un vote populaire non obligatoire élit ces représentants pour deux ans, au sein de leur Etat. Sur base de la Constitution de 1787, tous les citoyens mâles de race blanche et âgés de vingt et un ans ont le droit d’être électeurs. Toutefois, certains Etats peuvent exiger des conditions supplémentaires (délais de résidence, instruction, paiement de l’impôt, etc.). La Chambre des représentants donne aux Etats un nombre de députés proportionnel à leur population. Un recensement décennal modifie régulièrement ces clés de répartition. Les délégués chargés de préparer la première Constitution américaine, en 1787, s’interrogèrent sur la question de savoir s’il fallait ou non inclure les esclaves dans le nombre de la population d’un Etat. Le Nord s’offusqua de cette question en arguant que si le Sud voulait davantage de représentants au Congrès, il n’avait qu’à émanciper ses Noirs et leur accorder le suffrage. Les deux tendances trouvèrent alors un compromis : les esclaves compteraient pour trois cinquièmes de leur nombre dans le compte des sièges attribués aux Etats usant de 1’Institution particulière. C’était absurde, mais comme 1’écrit André Maurois : “tous les compromis le sont, étant destinés à calmer les passions, non à satisfaire les intelligences”.3
House of Congress / US Capitol Il y a ensuite le Sénat que préside le vice-président pendant quatre ans, c’est du reste sa seule fonction tant que le président est en vie. Ce n’est pas la population d’un Etat mais sa Chambre des représentants qui choisit ses sénateurs. Quel que soit son nombre d’habitants, chaque Etat a le droit de désigner deux sénateurs au Congrès. Leur long terme de six ans s’exerce généralement sous plusieurs présidents parce que des élections renouvellent le tiers d’entre eux tous les deux ans. En tant que conseil du pouvoir exécutif, le Sénat possède seul la compétence de valider un traité négocié avec 1’étranger, les nominations importantes auxquelles procède le président ainsi que certains types de lois définies par la Constitution. En résumé, le rôle du Sénat est de garantir la légalité d’une décision votée a la Chambre.
Des délégués nommés au scrutin au sein de chaque Etat constituent un collège national qui, à la majorité absolue, é1it le président et lui confie le pouvoir exécutif pour un terme de quatre ans. Ces délégués constituent le collège des “grands électeurs” dont le mandat est impératif. Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue, la Chambre des représentants désigne le président et le Sénat le vice-président. Chef suprême de l’armée et de la marine, le président détient le droit de grâce, de sursis et de commutation de peine. Il peut conclure des traités, mais seulement si le Sénat l’y autorise. Après avis et consentement du Sénat, le président nomme ses ministres (secrétaires de département), les ambassadeurs, les consuls, les juges de la Cour suprême et les hauts fonctionnaires. Son droit de veto lui permet de suspendre le vote d’une loi sauf si celle-ci obtient la majorité des deux tiers a la Chambre et au Sénat.
Quant à la Justice, elle se plaçait au-dessus de la majorité. Cette disposition garantissait à la minorité une réelle sauvegarde contre une minorité démagogique. Toutefois, le Congrès avait aussi le droit de créer des cours dans les Etats. Cette description de la répartition des pouvoirs apparaîtrait très simple si le fonctionnement de chaque Etat ne reposait pas également sur un système bicaméral. Or, chaque Etat fonctionne également avec sa propre Chambre des représentants (State House) et son propre Sénat (State Senate). Lors de deux élections distinctes, la population d’un Etat élit d’une part, les représentants de leur Chambre locale (State House) et, d’autre part, ceux qui siégeront à la Chambre nationale des représentants (House of Congress). La désignation des sénateurs d’Etat (State Senators) suit une autre procédure car ils ne dépendent pas d’un suffrage populaire. Ce sont les membres de la Chambre des représentants d’un Etat (State House) qui élisent entre eux ceux qui deviendront des sénateurs locaux (State Senators) et des sénateurs au Congrès national. (Le nombre de représentants et de sénateurs locaux varie évidemment par Etat en fonction du nombre de sa population.4
Il sera fréquemment question de “territoire” et d’ État” dans la suite de cet exposé. Il y a lieu de faire une claire distinction entre les deux. Le “territoire” américain était une subdivision administrative du domaine national qui, à la ressemblance des Etats, constituait une entité dont un acte du Congrès déterminait les frontières et le statut. Le “territoire” pouvait être organisé ou non. Dans le second cas, Washington désignait les fonctionnaires fédéraux qui le dirigeraient sans élection ni consultation populaire. C’était le cas du Kansas. Le gouvernement du “territoire” organisé était identique, dans sa forme, à celui d’un Etat, mais ne l’était pas dans ses pouvoirs. En effet, si les délégués territoriaux, élus par la population, avaient le droit d’informer le Congrès des revendications de leur région, ils ne possédaient pas celui de participer aux votes de la Chambre, comme les représentants des Etats constitués. Ainsi, si le statut de “territoire” ne privait celui-ci d’aucune facilité administrative ou judiciaire, il n’était pas libre de mener ses propres affaires lui-même. Le “territoire” américain correspondait en somme au statut d’un enfant mineur dont le tuteur, en l’occurrence Washington, surveillait l’émancipation, c’est-à-dire son admission au Congrès en tant qu’Etat à part entière. En général, un “territoire” ne devenait un Etat que s’il atteignait le nombre d’habitants fixé par le Congrès. Toutefois, des motifs politiques pouvaient influencer son admission si celle-ci était susceptible de renverser une majorité à la Chambre.
POLITIQUE ET ESCLAVAGE Comme l’avait prédit Madison, les discussions, les discours, les débats et autres conventions commencèrent à se focaliser sur le problème empoisonné de l’esclavage, dès la fin du 18e siècle. Les membres de la Convention constituante de 1787 n’avaient pas envisagé les partis politiques, mais ceux-ci apparurent avec l’expansion de l’électorat. Dès le début du 19e siècle, deux factions, le Parti démocrate et le Parti whig, dominaient la scène politique des Etats-Unis. Leurs désaccords sur l’Institution particulière se transformèrent rapidement en des prises de position qui s’envenimèrent puis se radicalisèrent. L’ampleur des ces querelles devint telle que les divergences d’opinion politique ne purent demeurer plus longtemps sous silence. En effet, en février 1819, James Tallmadge, le député new-yorkais à la Chambre, introduisait un amendement à la loi qui autorisait le territoire du Missouri à établir une constitution avant d’être admis comme Etat dans l’Union. Tallmadge préconisait d’interdire l’apport de nouveaux esclaves dans le Missouri et recommandait une émancipation graduelle de ceux qui y vivaient. Cette proposition fit l’effet d’une bombe qui ébranla l’Assemblée jusque dans ses fondements dans la mesure où la question de l’esclavage lui était ouvertement posée pour la toute première fois. Après de longs et tumultueux débats entre délégués du Nord et du Sud, la Chambre vota finalement en faveur de la motion, mais le Sénat refusa obstinément de se prononcer et l’ajournement du Congrès clôtura les débats. Ce n’est qu’en 1820 que cette affaire connut son dénouement grâce à l’habileté du président de la Chambre, Henry Clay, qui fit voter le “Compromis du Missouri”. Ce dernier assurait l’admission du Missouri dans l’Union en tant qu’Etat esclavagiste. En revanche, il abolissait l’esclavage dans l’immense territoire cédé par la France lors du Louisiana Purchase5, c’est à dire au-delà de la latitude de 36°30’. Les dissensions qui étaient apparues au sein du gouvernement lors de l’élaboration de ce compromis avaient fait planer le spectre de la désunion et révélé que le terrain politique était miné. Les politiciens les plus perspicaces, tels que John Quincy Adams, Andrew Taylor, Martin Van Buren, l’architecte du Parti démocrate, ou encore Thomas Jefferson l’avaient bien compris. Ce dernier écrivit dans sa demeure de Monticello : “Cette question capitale me réveilla et me remplit de terreur comme une boule de feu dans la nuit. Je vis tout de suite qu’elle sonnait le glas de l’Union. Elle est certes étouffée pour l’instant, mais ce n’est qu’un sursis, pas la sentence finale”.6 Si le Compromis était parvenu à maintenir un fragile équilibre entre Etats libres et esclavagistes, en définitive, il ne réglait rien. Il eut néanmoins le mérite de calmer les esprits échauffés et, pendant les deux décennies à venir, de postposer “l’irréparable conflit” dû à l’Institution particulière.
Henry ClayCOMPROMIS DU MISSOURI 1820 légende: Orange: États et territoires esclavagistes. Vert: États et territoires abolitionnistes. Hachuré: État formé par le compromis du Missouri.
Cette controverse ne cessa pourtant d’accroître les divergences politiques et économiques de la nation. Envieux des plantureux bénéfices qu’amassaient les hommes d’affaires du Nord en commercialisant leurs récoltes de coton, les Sudistes imputaient la stagnation de leur propre région aux progrès du Nord. Quant aux Yankees, ils estimaient que l’esclavage que le Sud considérait comme un “un mal nécessaire” à sa survie, était entièrement responsable du retard économique dont il souffrait. Dès 1830, le fossé se creusa entre les uns et les autres. Dans le Nord, le sentiment abolitionniste gagnait en puissance, encouragé par le mouvement des "Free Soilers"7 qui s’opposait énergiquement à toute extension de l’esclavage aux territoires de l’Ouest. Pour les Sudistes, l’esclavage représentait un état de fait dont ils avaient hérité et dont ils ne se sentaient pas responsables. En fait, seule une minorité d’entre eux possédaient des esclaves. En effet, le recensement de 1860 ne fait apparaître que 46.274 planteurs dans l’ensemble des Etats esclavagistes.8 Etaient considérés comme planteurs ceux qui possédaient au moins vingt esclaves. Plus de la moitié de ces derniers travaillait dans des plantations. Certains agriculteurs indépendants, dont septante pour cent détenaient moins de quarante hectares, avaient aussi des esclaves, mais pas la plupart. C’était notamment le cas des “pauvres Blancs” qui se situaient au bas de l’échelon de la société sudiste. On comprend pourquoi les planteurs qui possédaient la majorité des esclaves avaient intérêt à perpétuer cette institution. Paradoxalement, les agriculteurs libres et les “pauvres Blancs” la soutenaient tout autant car ils craignaient que les Noirs, s’ils étaient affranchis, leur disputent leurs terres. De plus, la présence des esclaves les rehaussait dans la hiérarchie sociale, et ils n’étaient pas enclins à abandonner de bon gré ce privilège.
Réception au Massachusetts; Louis Kossuth en visite à Boston en Avril 1852. The "Free Soilers"
Au début du 19e siècle, le maître surveillait personnellement ses esclaves selon l’ancienne tradition patriarcale. L’introduction de cultures cotonnières à grande échelle dans le Sud profond incitait cependant le planteur à confier progressivement cette tâche à des régisseurs professionnels. Pour conserver leur emploi, ceux-ci exigeaient de leurs esclaves le meilleur rendement. L’esclavage était, par nature, un régime fondé sur la brutalité et la coercition. Les coups étaient fréquents et les membres d’une même famille étaient souvent séparés lors de leur vente aux enchères. En fin de compte, ce n’était pas le comportement des maîtres et des intendants qui suscitait les critiques les plus virulentes des antiesclavagistes, mais bien la violation du droit inaliénable de chaque être humain à la liberté.
Sous la pression de l’opinion nordiste, les dirigeants politiques du Sud, les membres des professions libérales et la plus grande partie du clergé ne cherchèrent plus à se disculper mais, au contraire, ils se firent ouvertement les ardents défenseurs de l’Institution particulière. A titre d’exemple, citons les journalistes sudistes qui ressassaient dans leurs colonnes que les rapports de maître à esclave étaient plus humains dans un système esclavagiste que les relations de patron à salarié dans la société industrielle nordiste. Dans l’arène politique nationale, les Sudistes cherchaient principalement à sauvegarder et à promouvoir les intérêts du secteur cotonnier esclavagiste. L’invention par Eli Whitney de l’égreneuse mécanique ouvrit la voie à la culture massive du coton. Son expansion se révélait donc capitale car la monoculture épuisait rapidement les sols et exigeait de nouvelles terres fertiles. En outre, le Sud était convaincu qu’il lui fallait acquérir des territoires supplémentaires pour constituer d’autres Etats esclavagistes afin de contrebalancer l’admission de futurs Etats antiesclavagistes dans l’Union. Le Free Soiler nordiste, partisan de la liberté, voyait dans ces théories sudistes les bases d’une conspiration visant à développer l’esclavage. Durant les années 1830, les divergences engendrées par ces deux courants de pensée diamétralement opposés s’amplifièrent à un point tel que le débat politique ne put les ignorer plus longtemps.
Né de la guerre d’Indépendance, un premier mouvement antiesclavagiste avait remporté une victoire en 1808, lorsque le Congrès avait aboli la traite des esclaves avec l’Afrique. Par la suite, l’opposition fut largement dominée par les Quakers qui continuèrent de protester mais sans résultat, tandis que la demande d’esclaves ne cessait d’augmenter à la suite de l’expansion vers l’Ouest, tout particulièrement dans le delta du Mississippi. Le mouvement abolitionniste, qui fit son apparition au début des années 1830, se caractérisait par sa combativité et son intransigeance. Il demandait purement et simplement la suppression immédiate de l’esclavage. Ce courant trouva un leader en la personne de William Lloyd Garrison, un citoyen du Massachusetts, qui alliait l’héroïsme fanatique du martyr à la démagogie. Le 1er janvier 1831, Garrison publiait le premier numéro de son journal, The Liberator, dans lequel il déclarait : “Je lutterai avec acharnement pour l’affranchissement immédiat de tous nos esclaves. Sur ce point, je ne veux ni réfléchir, ni parler, ni écrire avec modération (…) Je suis déterminé, je ne tergiverserai pas, je ne chercherai pas d’excuses, je ne reculerai pas d’un pouce et … je me ferai entendre !”.9
William Lloyd Garrison
Les méthodes à sensation utilisées par Garrison ouvrirent les yeux des Nordistes sur ce qu’il y avait de néfaste dans une institution qu’ils considéraient comme immuable. Garrison cherchait à dévoiler les aspects les plus répugnants de l’Institution particulière en fustigeant les propriétaires d’esclaves qu’il considérait comme des bourreaux et des trafiquants de vies humaines. Il ne reconnaissait aucun droit aux maîtres, n’acceptait aucun compromis et ne tolérait aucun atermoiement. D’autres abolitionnistes plus radicaux, tels que Gerrit Smith, considéraient qu’il fallait obtenir des réformes par des moyens plus draconiens. Garrison reçut le concours de voix puissantes, telles que celles de Theodore Parker, de Charles Burleigh, de Charles Remond ou encore de Frederick Douglass, un ancien esclave fugitif qui galvanisait le public nordiste en prêchant au nom de la société antiesclavagiste du Massachusetts et en écrivant des articles éloquents dans l’hebdomadaire abolitionniste The North Star.
En 1852, la femme abolitionniste Harriet Beecher Stowe publiait “La Case de l’Oncle Tom”, un roman inspiré de l’adoption de la loi sur les esclaves fugitifs. Entaché de sentimentalisme et d’une accumulation de clichés, le livre décrivait l’inhumanité de l’esclavage et révélait l’incompatibilité naturelle qui existait entre les sociétés favorables à cette institution et celles qui s’y montraient hostiles. Cet ouvrage bouleversa profondément la nouvelle génération d’électeurs du Nord. Diffusé à 300.000 exemplaires dès sa première année de parution, il inspira un immense enthousiasme à la cause antiesclavagiste car il faisait appel aux sentiments profonds de l’être humain qu’exploitaient les esclavagistes.
L’une des principales initiatives du mouvement abolitionniste consista à braver la "Anti-Fugitive Slave Law" (loi sur l'esclavage) de 1793 en aidant les esclaves fugitifs à trouver un asile dans le nord des États-Unis ou de l’autre côté de la frontière canadienne. A cette fin, dès les années 1830, il mit en place dans toutes les régions du Nord un réseau secret et complexe, appelé "l’Underground Railroad."10. Ce dernier enregistra ses plus grands succès dans les anciens territoires du Nord-Ouest. Dans le seul Etat de l’Ohio, on estime à plus de 40.000 les esclaves qui, entre 1830 et 1860, recouvrèrent ainsi leur liberté. Le nombre de sociétés antiesclavagistes locales accrut à un rythme tel qu’en 1840, on en dénombrait environ 2.000 qui rassemblaient quelque 200.000 adhérents.
Fugitifs passant à gué la rivière Rappahannock en Virginie, Août 1862
Malgré les efforts déployés par les militants abolitionnistes qui voulaient faire de l’esclavage un cas de conscience, une majorité de Nordistes se tint à l’écart de ces mouvements ou s’y opposa brutalement. En 1835 par exemple, une bande d’esclavagistes excités détruisit les livres antiesclavagistes consignés à la poste de Charleston, Caroline du Sud. Quand le receveur des postes déclara qu’il n’assurerait dorénavant plus la distribution d’un tel courrier, d’âpres controverses divisèrent le Congrès. En 1837, à Alton, Illinois, une foule déchaînée assassina le journaliste abolitionniste Elijah P. Lovejoy et détruisit son imprimerie.11 Quand les abolitionnistes inondèrent leurs sénateurs et leurs représentants de pétitions exigeant l’interdiction de l’esclavage dans le district de Columbia, la Chambre adopta, en 1836, une règle destinée à reporter automatiquement tout débat sur ce type de requête, ce qui revenait carrément à les supprimer. Elle abrogea cette disposition en 1844.
En 1836, Sam Houston et ses Texans anéantissaient l’armée mexicaine à la bataille de San Jacinto, assurant ainsi l’indépendance du Texas. Pendant près d’une décennie, ce territoire demeura une république autonome avant de devenir, en 1845, le 28e Etat de l’Union. Bien que le Mexique eût rompu ses relations avec les États-Unis lors de l’indépendance du Texas, la question litigieuse des frontières du nouvel État restait en suspens. Le Texas réclamait toutes les terres situées au nord du Rio Grande. Le Mexique rétorquait que la ligne de démarcation passait bien plus au nord, le long de la Nueces River. Entre-temps, les pionniers affluèrent dans les territoires du Nouveau-Mexique et de la Californie et nombreux étaient les Américains qui proclamaient que le Manifest Destiny ou la destinée manifeste des États-Unis était de s’étendre vers l’Ouest, jusqu’à l’océan Pacifique.
Le gouvernement américain s’efforça d’acheter aux Mexicains les territoires du Nouveau-Mexique et de la Californie, mais en vain. En mars 1847, les forces fédérales commandées par le général Winfield Scott débarquèrent sur la côte orientale du Mexique pour entrer victorieuses à Mexico City quelque temps plus tard. Washington négocia alors le traité de Guadalupe Hidalgo par lequel le Mexique lui cédait le sud ouest des États-Unis et la Californie pour la bagatelle de 15.000.000 $.
Ce conflit entraîna un nouveau clivage sur la scène politique nationale car les Whigs abolitionnistes dénoncèrent l’expansionnisme du gouvernement démocrate du président James Polk. A la fin de la guerre, la superficie des États-Unis s’était accrue de 1.360.000 km², qui englobaient les territoires de l’Arizona, du Nevada, de la Californie, de l’Utah, et une bonne partie du Nouveau-Mexique, du Colorado et du Wyoming. Ce gain territorial était également un cadeau empoisonné car il raviva la querelle sur la question la plus explosive de la politique américaine : les nouveaux territoires devaient ils admettre, ou non, l’esclavage ?
David Wilmot, un jeune congressiste de Pennsylvanie avait, en 1846, naïvement tenté de résoudre ce délicat dilemme lorsqu’il introduisit à la Chambre une motion qui proposait que l’esclavage soit exclu de tout territoire qui serait acquis à l’issue de la guerre avec le Mexique.12 Son intention était avant tout de dénoncer la connivence entre les Sudistes et le gouvernement démocrate de Polk. Les Whigs du Nord et les Démocrates qui détestaient le président se joignirent aux abolitionnistes et autres mécontents pour faire adopter sa proposition. Communément appelée Wilmot Proviso, cette motion fut votée à la Chambre mais rejetée au Sénat. Si Wilmot avait manifestement échoué dans sa démarche, il avait néanmoins jeté un sérieux pavé dans la mare des partis politiques, tant au nord qu’au sud du pays. Le scrutin présidentiel de 1848 porta à la Maison Blanche le héros de la guerre du Mexique, le Whig modéré Zachary Taylor. Fait sans précédent, la question de l’esclavage avait constitué, à elle seule, l’unique enjeu des débats entre les candidats à l’élection. Au lendemain de l’investiture de Taylor, William Seward, alors jeune sénateur de New York, fit cyniquement remarquer que “l’esclavage est désormais devenu un sujet respectable en politique (…) Un étranger qui assisterait à nos débats au Congrès pourrait croire que cet établissement a été créé spécialement pour la protection des Nègres”.13
William Seward, 1879.
COMPROMIS SUR COMPROMIS
Jusqu’en 1845, la possibilité de cantonner l’esclavage dans les régions où il existait déjà paraissait réelle. Le Compromis du Missouri de 1820 avait circonscrit ses limites, mais l’acquisition de nouveaux territoires reposait la question de son éventuelle extension. Nombreux étaient les Nordistes qui croyaient que, faute de possibilités de propagation, l’esclavage finirait par disparaître de lui-même. Pour justifier leur opposition à la création de nouveaux États esclavagistes, ils évoquaient les déclarations de Washington et de Jefferson ainsi que l’Ordonnance de 1787 qui prohibait l’extension de l’esclavage dans le Nord-Ouest. Or, le Texas qui autorisait déjà cette institution, entra dans l’Union en tant qu’Etat esclavagiste. Cependant, la Californie, le Nouveau-Mexique et l’Utah possédaient peu d’esclaves et lorsque les États-Unis en prirent possession, en 1846, des controverses éclatèrent entre partis rivaux. Les extrémistes du Sud exigèrent que toutes les terres rachetées au Mexique soient ouvertes aux esclavagistes. Leurs adversaires nordistes demandèrent l’application du Wilmot Proviso interdisant l’esclavage dans tous les nouveaux territoires. Un groupe de modérés suggéra encore de prolonger jusqu’au Pacifique la ligne de démarcation établie par le Compromis du Missouri, qui n’autorisait l’esclavage qu’au sud de celle-ci. Un autre mouvement proposa enfin la “souveraineté populaire”. En substance, cette formule laissait aux habitants d’un futur État, la liberté d’opter pour ou contre l’esclavage à l’issue d’un vote populaire. L’opinion publique sudiste maintenait que tous les territoires avaient le droit d’autoriser l’esclavage. Le Nord affirmait avec la même vigueur qu’aucun d’eux ne pouvait se l’arroger.
Lors de la campagne présidentielle de 1848, près de 300.000 électeurs se prononcèrent en faveur des candidats présentés par le Free Soil Party14, pour qui la politique était de circonscrire, de localiser et de décourager l’esclavage. Le Midwest, le Maryland, le Kentucky et le Missouri se retrouvaient encore plus divisés et comprenaient désormais de nombreux partisans de la souveraineté populaire ou des adeptes d’une solution de conciliation.
En janvier 1848, un prospecteur nommé John Sutter découvrait accidentellement de l’or en Californie, ce qui provoqua une gigantesque ruée de plus de 80.000 pionniers ou Forty-Niners15 qui déferlèrent sur la côte Pacifique durant la seule année 1849. La question de la Californie prit soudainement une importance cruciale car le Congrès devait statuer sur ce nouveau territoire avant d’y organiser un gouvernement. Les espoirs se tournèrent une fois de plus vers celui que la nation considérait comme la sagesse personnifiée, en l’occurrence le vieux sénateur Henry Clay du Kentucky. A plus d’une reprise, celui-ci n’avait-il pas su concilier les factions opposées en des moments de grande tension politique ? Sans tarder, Clay obtint l’appui des plus grands défenseurs de l’unité nationale au Sénat, dont Daniel Webster du Massachusetts. Une fois de plus, il parvint à mettre un terme à la dangereuse querelle qui animait les Chambres en proposant un projet complexe mais judicieusement équilibré. Son compromis prévoyait un certain nombre de dispositions-clés : l’entrée de la Californie dans l’Union en tant qu’Etat libre, la division des territoires nouvellement annexés, en deux entités : le Nouveau-Mexique et l’Utah, sans qu’il ne soit fait mention de l’esclavage dans leur acte organique, le versement de 10.000.000 $ au Texas pour compenser ses revendications sur une partie du Nouveau-Mexique, des moyens accrus destinés à renforcer l’application de la "Fugitive Slave Law" et enfin, l’abolition de la vente d’esclaves, mais non pas de l’esclavage, dans le District de Columbia. Entre-temps, le président Taylor décéda et le vice-président Millard Fillmore le remplaça. Ce dernier, conscient de la gravité de la situation et n’ayant aucune alternative originale à suggérer, encouragea le Congrès à voter ces mesures qui passèrent à la postérité sous l’appellation “Compromis de 1850”. Pour une majorité d’Américains, la nouvelle loi semblait avoir aplani pratiquement toutes les divergences sur la question de l’esclavage, et ainsi sauvé l’Union d’une déchirure fatale. Malheureusement, le sentiment de soulagement qui se propagea au travers de la nation se révéla le calme avant la tempête. En effet, durant les années qui suivirent, la tension entre esclavagistes et abolitionnistes ne cessa de monter. Les nouvelles dispositions sur les esclaves fugitifs indignèrent beaucoup de Nordistes qui refusèrent de se lancer dans des chasses à l’homme. En outre, nombre d’entre eux continuèrent à aider ces fuyards en rendant le “chemin de fer clandestin” plus efficace que jamais.
Dans le domaine politique, les années 1850 riment avec décennie de l’échec car les dirigeants nationaux furent incapables de pallier les clivages que créait le problème de l’esclavage. En effet, dès 1853, l’éternelle question de l’Institution particulière dans les nouveaux territoires ressurgit et la querelle reprit de plus belle. Le vaste territoire de la Platte qui s’étendait depuis le Texas jusqu’à la frontière du Canada et qui englobait le Kansas et le Nebraska, avait attiré bon nombre de colons. Ceux-ci exerçaient une pression considérable pour obtenir un gouvernement territorial capable de préparer son entrée dans l’Union. Conformément au Compromis du Missouri de 1820, toute cette région était interdite à l’esclavage, mais le Compromis de 1850 rouvrit le débat. Les propriétaires d’esclaves, majoritaires dans le Missouri, refusèrent de voir le Kansas devenir antiesclavagiste car leurs trois voisins abolitionnistes auraient entouré leur propre Etat : l’Illinois, l’Iowa et le Kansas. Ils craignaient dès lors de se voir contraints d’adopter la même politique. Pour gagner du temps, les représentants du Missouri au Congrès, soutenus par les Sudistes esclavagistes, entravèrent tous les efforts de Washington pour structurer la région.
Stephen A. Douglas, sénateur démocrate de l’Illinois, déchaîna alors la tempête en proposant le "Kansas-Nebraska Act", une loi maladroite qui exaspéra un peu plus les abolitionnistes. Douglas adhérait à la doctrine de la Manifest Destiny américaine qui investissait les États-Unis du droit divin d’acquérir un maximum de terres afin d’y répandre leur influence civilisatrice. Dans cet esprit, Washington planifiait la construction d’un chemin de fer trans-continental qui relierait les côtes est et ouest de la nation. Bien que le lieu d’implantation du terminus oriental de la ligne ferroviaire n’ait pas encore fait l’objet d’une décision, Douglas avait depuis longtemps jeté son dévolu sur Chicago, dans l’Illinois. Il était cependant conscient que cette option n’était pas possible aussi longtemps que le territoire de la Platte n’était pas organisé. Pour parvenir à ses fins, Douglas devait caresser l’électorat sudiste. Son projet prévoyait deux territoires séparés : le Kansas et le Nebraska où les colons pourraient introduire des esclaves. La population déterminerait elle-même, par la suite, si elle voulait entrer dans l’Union en tant qu’Etat esclavagiste ou non. De plus, comme Douglas estimait que le Compromis de 1850 avait rendu caduc celui du Missouri, sa proposition laissait à l’Utah et au Nouveau-Mexique toute la latitude de résoudre eux-mêmes la question de l’esclavage.
Légende:
Vert: États et territoires libres. Bleu: États esclavagistes. Orange:Territoires où l'esclavagisme sera déterminé par le vote de la population.
Les Nordistes accusèrent Douglas de courtiser le Sud pour se faire élire à la présidence de 1856. La mise au point définitive du texte de loi donna lieu à des débats déchaînés. Les Free Soilers le dénoncèrent violemment, quant au clergé nordiste, il le vilipenda. Même les hommes d’affaires, jusque-là partisans du Sud, firent soudainement volte-face. En dépit des passions qu’il avait suscitées, les deux Chambres adoptèrent le Kansas-Nebraska Act, le 30 mai 1854, mais d’extrême justesse. En effet, la moitié des Démocrates et la totalité des Whigs du Nord votèrent contre la loi alors que l’ensemble des Whigs du Sud se prononcèrent en sa faveur. Cette répartition du scrutin montre à quel point les divergences partisanes avaient fractionné l’arène politique. Quand, par la suite, Douglas se présenta à Chicago pour défendre ce qu’il avait enfanté, les navires du port mirent leurs pavillons en berne, les églises sonnèrent le glas et une foule de dix mille manifestants le conspua si bruyamment qu’il ne put se faire entendre.
Les conséquences politiques immédiates du Kansas-Nebraska Act se révélèrent déterminantes. D’une part, les derniers vestiges de la trêve de 1850 s’effondrèrent pour faire place à un conflit ouvert entre les radicaux des deux camps. Le sénateur Charles Sumner du Massachusetts qualifia d’ailleurs le nouveau décret de “meilleure loi que le Congrès ait jamais votée parce qu’elle rendait impossible tout compromis futur”.16 D’autre part, le Parti whig, qui avait toujours temporisé sur la question de l’expansion de l’esclavage, éclata pour faire place à une nouvelle formation politique. Celle-ci, le Parti républicain, regroupa une partie des anciens Whigs, les Démocrates antiesclavagistes, les Free Soilers et les mécontents de tous bords.
Son leitmotiv était sans équivoque : l’interdiction totale de l’esclavage dans tous les nouveaux territoires. En 1856, ce parti choisit comme candidat à la présidence l’explorateur John Frémont, dont les expéditions au Far West avaient assuré le renom. Ce dernier perdit l’élection au profit du démocrate James Buchanan, mais le nouveau Parti républicain récolta suffisamment de voix pour triompher dans la plupart des régions du Nord. Sous la houlette de Salmon P. Chase, Daniel Webster, Charles Sumner et William Seward, l’influence des politiciens antiesclavagistes ne cessa de croître. Un jeune avocat inconnu, issu de l’Illinois, vint bientôt renforcer cette équipe : il se nommait Abraham Lincoln. Ce futur président considérait depuis longtemps l’esclavage comme un mal endémique. Dans un discours prononcé en 1854, à Peoria, Illinois, il avait déclaré que toutes les lois fédérales devaient viser à endiguer l’esclavage pour l’abolir plus tard. D’après lui, on ne pouvait pas laisser la population locale se prononcer sur sa souveraineté car la question de l’esclavage dans les territoires non organisés concernait non seulement leurs habitants, mais aussi l’ensemble du peuple américain. Ce discours eut un retentissement national que l’Ouest apprécia tout particulièrement.
Abraham Lincoln | |
|