Lorsqu’on aborde le sujet du Far West, on imagine souvent le rôle de la femme dans un moule standardisé et peu intéressant. Au cinéma, on la dépeint en ménagère soumise ou alors en prostituée. Sans grande originalité, donc!
Pourtant, la réalité a de quoi inspirer une image plus moderne. C’est que de tout temps, il y a toujours eu des femmes qui ont su se démarquer. Heureusement!
Avant de devenir légende, elle est née sous le nom de Phoebe Ann Moses le 13 août 1860 dans le Darke County, en Ohio. Bien que Quaker, son père avait obtenu la permission de posséder une carabine, un outil qui allait rapidement changer la vie de sa fille. Malheureusement, ce père qu’elle adorait tant meurt subitement le 11 février 1866.
Annie sentira davantage l’isolement lorsque sa mère, incapable de nourrir ses sept enfants, la confiera à Mme Crowford Edington qui s’occupait d’une institution que l’on appelait l’Infirmerie mais qui en réalité était une maison pour malades mentaux et autres nécessiteux.
En dépit des apparences, Mme Edington aura une influence marquante sur la jeune fille, entre autres en lui apprenant la couture. Voilà qui n’était pas très original pour l’époque, mais plus tard Annie se servira de ce talent pour se démarquer davantage. On verra pourquoi.
Après avoir travaillé comme domestique, elle fugue pour retourner chez sa mère. Celle-ci la fait pourtant travailler aussi durement que ses anciens patrons. À 8 ans, Annie eut une idée en posant ses yeux sur le fusil de son défunt père, toujours accroché au mur. Après avoir grimpé sur une chaise pour le saisir, elle se dirigea dans la cour pour réaliser son premier tir, qui fut tout simplement parfait : sa balle arracha la tête d’un écureuil situé à bonne distance. Bien que grondé par sa mère, Annie venait de se découvrir une passion et un talent certain. Chaque fois qu’elle en eut l’occasion, elle prenait les sentiers pour aller chasser, d’abord sous les conseils de son frère John et finalement en solitaire.
Étonnement, Annie Moses était déjà autonome financièrement dès l’âge de 10 ans, vendant son gibier abattu à des distributeurs et des restaurants. Ainsi, son nom commença à circuler au sein de la restauration, non seulement en raison de la particularité de son jeune âge mais aussi par son réel talent puisqu’en tuant le gibier d’une balle à la tête, et non avec une gerbe de plombs comme c’était généralement le cas, les clients savaient apprécier cet absence de projectiles dans leur assiette.
Elle se rendit probablement compte de sa renommée pour la première fois lorsque, à 15 ans, elle rendit visite à sa sœur installée à Cincinnati. Mis au courant de sa présence en ville, le restaurateur Jack Frost, qui achetait le gibier de la jeune fille, s’empressa d’aller la rencontrer. Fasciné, celui-ci lui proposa de participer à une compétition professionnelle qui se tenait non loin de là. Ce fut donc avec une carabine qui n’était pas la sienne, en plus d’affronter pour la première fois le stress de la compétition, qu’Annie se retrouva face au tireur professionnel Frank Butler, un homme mûr et divorcé. Convaincu de battre cette gamine à plate couture, Butler se moqua ouvertement d’elle sous les regards amusés du public.
À cette époque où on utilisait encore de véritables pigeons pour la compétition, Annie et Frank commencèrent à tirer jusqu’à ce que le premier des deux manque son coup. Et dans ce cas-ci, ce fut … Butler. Ce dernier fut suffisamment courtois pour venir s’excuser auprès de la jeune gagnante qu’il s’empressera rapidement de courtiser.
C’est en 1876 qu’on croit que la jeune femme a définitivement adopté le nom d’Annie Oakley, d’après le nom du terrain où elle aurait affronté et connu Butler l’année précédente. Certains ont aussi vu dans ce choix une façon d’oublier son passé, mais on sait qu’elle n’a jamais renié sa famille. Elle avait donc seulement 16 ans lorsqu’elle épousa Butler.
La même année avait lieu le premier centenaire des États-Unis, mais on assista également à d’autres événements marquant, comme par exemple la Bataille de Little Bighorn, dans laquelle fut impliqué le chef Sioux Sitting Bull. Annie fut certainement au courant de cette nouvelle diffusée à l’échelle nationale, mais elle était loin de se douter que quelques années plus tard elle ferait la rencontre de Sitting Bull.
Frank Butler continua ses tournées de tireur professionnel jusqu’au moment où son partenaire tomba subitement malade avant la représentation du 1er mai 1882 à Springfield, Ohio. Ce fut donc à pied levé qu’il demanda à sa jeune épouse de le remplacer. Les craintes de voir une femme pratiquer un exercice étroitement associée aux hommes s’effondrèrent rapidement car Annie charma instantanément le public. Désormais, Butler la prendra comme unique partenaire et partira en tournée avec elle.
En 1883, Frank et Annie travaillaient pour le Cirque des frères Sells, ce qui leur assurait une certaine stabilité en tournée, en plus d’une meilleure visibilité. Toutefois, Annie ne s’y sentait pas parfaitement à l’aise car elle apparaissait uniquement comme cavalière, en plus de remarquer certaines piètres conditions, comme une selle endommagée et des soins animaliers médiocres.
La même année, toutefois, elle eut l’honneur de rencontrer Sitting Bull alors que le cirque était installé à St-Paul, Minnesota. Alors que seul le contraire aurait dû être vrai, Sitting Bull, reconnu pour son caractère dur et impassible, se dit impressionné par les talents de la jeune femme. Il échangea avec elle une photo et décida de l’adopter de manière honorifique en lui donnant le nom de Watanya Cicilia, c’est-à-dire « Little Sure Shot » (la petite qui ne rate jamais).
En décembre 1884, le cirque se retrouva basé à la Nouvelle-Orléans, mais des pluies torrentielles qui ne semblaient pas connaître de fin firent en sorte qu’on annula plusieurs spectacles. Mise au courant que la troupe du Wild West Show du célèbre Buffalo Bill Cody se trouvait également en ville, Annie décida d’aller y jeter un œil en compagnie de son mari. Immédiatement, elle fut impressionnée par l’entretien impeccable des animaux et aussi par l’amabilité de Cody, qui avait l’habitude de signer les contrats de ses employés par une simple poignée de main. Le Wild West Show comptait alors environ 700 employés de toutes sortes et il fallait 52 wagons de train pour transporter le tout, sans oublier un wagon uniquement réservé pour l’alcool. Car si Cody et ses employés travaillaient dur, ils savaient aussi célébrer de manière toute aussi dure.
C’est au sein de cette gigantesque équipe qu’Annie Oakley s’apprêtait à se tailler une place. Son mari allait d’ailleurs progressivement s’effacer pour lui laisser la vedette, travaillant plutôt à la préparation de ses armes et de ses numéros.
Annie prit donc l’habitude de faire l’ouverture du spectacle par ses exploits avec ses différentes armes à feu et ainsi gagna rapidement l’admiration du public. En peu de temps, son nom circula à travers les grandes villes du pays.
En 1885, Cody, soucieux de l’authenticité de ses spectacles, voulut inviter Sitting Bull à faire la tournée avec lui. Pour ce faire, il envoya à sa rencontre son agent John Burke, qui se rendit jusqu’au tipi du chef Sioux. Sitting Bull refusa catégoriquement, jusqu’à ce que Burke aperçoive dans le tipi une photo d’Annie Oakley. En expliquant que la jeune tireuse d’élite s’était jointe à la troupe, Sitting Bull changea d’idée. Et ainsi, en août 1885, le Wild West Show se donna en spectacle à Montréal, au Québec, avant de poursuivre sa tournée dans les plus grandes villes de la côte Est américaine. Au cours de cette seule année il généra des profits évalués à 100,000$.
Tout au long de l’été de 1886, la troupe se donna en spectacle à Staten Island, New York, où on donnait quotidiennement deux représentations, avec une estimation de 20,000 spectateurs par jour.
Annie prit l’habitude d’entrer dans l’arène en sautillant et en distribuant les baisers à la foule. Son charme unique réchauffait les cœurs. En juillet 1886, Buffalo Bill, Annie et les autres offrirent un spectacle gratuit pour 1,500 orphelins de New York.
En 1887, le Wild West Show partit en tournée en Angleterre pour se retrouver, le 12 mai, devant la reine Victoria à Londres. Celle-ci avait prévu accorder une heure seulement à la représentation mais elle fut si captivée qu’elle resta jusqu’à la fin. De plus, elle salua le drapeau américain lors de l’entrée de Cody dans l’arène, ce qui était une première depuis la Guerre d’Indépendance. On lui présenta également Annie Oakley, à qui elle aurait confié quelques compliments.
Après chaque spectacle, Annie recevait un nombre incalculable de visiteurs et de fleurs à l’entrée de sa tente. Toutefois, l’arrivée d’une nouvelle tireuse, Lillian Smith, créa un certain froid et dès l’automne 1887 Annie fit sa propre tournée européenne avec son mari. Le 13 novembre, Annie et Frank acceptèrent l’invitation du Keiser d’Allemagne, où elle tira un cigare de la bouche de celui-ci.
Le couple revint seul et en douce aux États-Unis. Annie continua de battre des champions lors de différentes compétitions de tir, après quoi elle joua dans une dramatique qui ferma malheureusement ses portes en janvier 1889 par manque de succès. Par chance, Cody et son associé Salsbury insistèrent pour la voir revenir au sein du Wild West Show. Les disputes furent vite oubliées, si bien même qu’on ne peut aujourd’hui en savoir la nature exacte.
De nouveau associée au célèbre éclaireur, Annie mettra ses talents de couturière en œuvre afin de créer elle-même tous ses costumes de scène. Admirée par de nombreuses jeunes filles, elle influencera ainsi toute une génération avec sa mode vestimentaire. Désormais, Annie Oakley était devenue l’unique vedette féminine du Wild West Show, qui repartit en tournée européenne dès avril 1889. Ils seront en spectacle à Paris durant une période de 7 mois, assez longtemps donc pour implanter le mythe de l’Ouest très tôt dans la mémoire collective des Français.
En décembre 1889, alors que la troupe se trouvait en Espagne, une épidémie de petite vérole frappa. L’annonceur vedette, Frank Richmond, ainsi que cinq Amérindiens, succombèrent. Atteinte, Annie survivra cependant au virus. La tournée se poursuit donc en Italie, où John Burke obtint une rencontre au Vatican avec le pape Léon XIII.
À Berlin, Annie remarqua que les Allemands prenaient des notes en observant l’impressionnante logistique déployée par le personnel et les équipements de la troupe. En fait, ce n’est que plus tard qu’on comprendra que les Allemands s’en inspireront pour faire la guerre de 1914 – 1918.
Buffalo Bill se confiera aussi à Annie concernant ses problèmes de couple, car il avait épousé une citadine qui détestait l’aventure et bien sûr ses longues absences. En fait, il confiera à la jeune et brillante tireuse sa liaison avec Viola Katherine Clemmons.
En 1891, une autre tournée européenne englobera l’Allemagne, la Hollande, la Belgique, l’Angleterre et l’Écosse. En mai 1892, le Wild West Show donna une représentation directement au Château Windsor, devant les yeux brillants de la reine Victoria.
De retour au pays quelques mois plus tard, Annie et Frank firent bâtir une maison à Nutley, dans le New Jersey. Étant donné que la vie de tournée était assez éreintante, cette demeure leur permettait de garder un pied à terre. Bien qu’ils parvinrent à créer plusieurs liens d’amitié dans la petite localité, le célèbre couple n’y passera jamais beaucoup de temps.
À l’ouverture du spectacle Wild West Show à l’Exposition Mondiale de Chicago en avril 1893, on offrait 18,000 places et de nombreuses représentations, et malgré cela on devait refuser des gens à l’entrée. Annie pouvait compter sur 35 costumes et après chaque spectacle de nombreux enfants venaient l’admirer ou la questionner. Cette année-là, les profits générés par la troupe seront évalués à un million de dollars.
Annie Oakley participa à un autre événement historique lorsque, le 4 mai 1894, elle apparut devant la caméra de Thomas Edison. Dans ce bout de film de quelques secondes, on la voit tirer sur des cibles dans un studio, devenant ainsi la première femme célèbre à être filmée[1].
En septembre 1896, Annie et Frank eurent la chance de voir pour la première fois les plaines, région si chère pour Cody, alors que la troupe se trouvait à Sioux Falls, dans le Dakota du Sud. L’année suivante, le spectacle fit une tournée de 104 villes américaines et canadiennes. Et en 1899, on dénombra 341 représentations.
Le 28 octobre 1901, après avoir donné une représentation à Charlotte, en Caroline du Nord, le Wild West Show se déplaça dans son train habituel pour se diriger vers Danville, en Virginie. En raison d’une erreur d’aiguillage, la catastrophe survint vers 3h20 de la nuit. Les wagons de bois furent pulvérisés sous la force de l’impact frontal avec un autre train. Par chance, on ne dénombra aucune perte de vie humaine, mais 110 chevaux durent être abattus, dont deux des montures personnelles de Buffalo Bill. Annie fut cependant blessée au dos et à une main. On l’hospitalisa à Newark, New Jersey. Peu de temps après, elle annoncera sa retraite.
Après toutes ces années d’association avec Buffalo Bill, Annie continuera cependant à participer à des concours de tir de façon sporadique. Le drame suivant dans sa vie survint en janvier 1917 avec la mort de son fidèle ami Buffalo Bill Cody, qui s’était donné entièrement jusqu’à la toute fin pour ses spectacles. Elle lui livrera d’ailleurs un vibrant hommage lors de ses funérailles.
Devenue plus discrète, Annie sera à nouveau blessée en novembre 1922, cette fois lors d’un accident de voiture. Il semble qu’elle ait eu du mal à récupérer pleinement de cette blessure, ce qui ne l’empêchera cependant pas de démontrer ses talents encore une fois devant l’équipe de baseball de Philadelphie. Sa dernière performance en public aura lieu à Vandalia, en Ohio.
Le 3 novembre 1926, elle s’éteignit à l’âge de 66 ans d’une « anémie pernicieuse ».
Trois semaines seulement après les funérailles privées de sa chère épouse, Frank Butler la suivait dans la mort, incapable de vivre sans elle.
Pour en savoir plus : afin de vous donner une idée de l’influence qu’Annie Oakley eut sur la population, entre autre sur le cinéma, je vous invite à voir cet extrait:
Annie Oakley; November 1, 1894
J.B.Books Law in Abilene
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Sujet: Re: Annie Oakley, pionnière dans un monde d’hommes Lun 5 Mar - 17:18
Berny Le dégoupilleur
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Sujet: Re: Annie Oakley, pionnière dans un monde d’hommes Mer 27 Juin - 17:01